
« La guerre entre les Tustis et les Hutus, c’est parce qu’ils n’ont pas le même territoire ?
– Non, c’est pas ça, ils ont le même pays.
– Alors, ils n’ont pas la même langue ?
– Si, ils parlent la même langue.
– Alors, ils n’ont pas le même dieu.
– Si, ils ont le même dieu.
– Alors… pourquoi se font-ils la guerre ?
– Parce qu’ils n’ont pas le même nez » (p.10).
Gabriel vit au Burundi. Un petit pays.
Il est né d’une mère rwandaise, « roseau d’eau douce à la silhouette fuselée », et d’un père français, aux yeux verts et à la « stature de Viking ».
Il a 12 ans, et une petite sœur, Ana.
C’est à travers ses yeux que Gabriel Faye raconte l’histoire de son pays, de sa famille, de ses voisins. Un ailleurs sous la chaleur, le soleil, où les enfants jouent, s’inventent des mondes, où il fait bon vivre. Jusqu’au jour où, à la suite du Rwanda, comme en représaille, il bascule dans la barbarie.
Au fur et à mesure que le récit se déroule, ce n’est pas la révolte qui submerge mais l’émotion. A travers les sentiments de Gaby qui refuse résolument de prendre position entre les ethnies, qui s’évade dans les livres, qui perd ses amis de l’impasse happés par la violence. C’est la chanson triste de sa mère, l’inquiétude de son père, la fidélité de ceux qui travaillent pour eux. Une sorte d’obstination à ne pas vouloir donner raison à la haine qui les entoure.
« Je regardais ces deux hommes s’occuper de moi avec la tendresse d’une mère. La guerre ravageait leur quartier, mais il venaient presque tous les jours au travail et ne laissaient jamais transparaitre leurs peurs ou leurs angoisses.
– C’est vrai que l’armée a tué des gens chez vous, à Kamenge ? j’ai demandé.
Donatien a posé mon pied sur le tabouret, avec délicatesse. Prothé est venu s’asseoir à côté de lui, il a croisé les bras et a observé des milans noir tournoyer dans le ciel. Donatien s’est mis à parler d’une voix lasse.
– Oui, c’est comme ça que ça se passe. Kamenge est le foyer de toute la violence de cette ville. Chaque nuit, nous dormons sur des tisons ardents et nous voyons les flammes s’élever au dessus du pays, des flammes si hautes qu’elles dissimulent les étoiles que nous aimions admirer. Et quand vient le matin, on s’étonne d’être encore là, d’entendre le coq chanter, de voir la lumière sur les collines. Je n’étais pas tout à fait un homme quand j’ai quitté le Zaïre de mes parents pour fuir notre misérable village. J’avais trouvé mon bonheur à Bujumbura, cette ville était devenue mienne. J’ai vécu mes plus belles années à Kamenge, sans m’en rendre compte, car sans cesse je pensais au jour d’après, espérant que demain serait mieux qu’hier. Le Bonheur ne se voit que dans le rétroviseur. Le jour d’après ? Regarde-le. Il est là. A massacrer les espoirs, à rendre l’horizon vain, à froisser les rêves » (p. 179-180).
Un récit simple et puissant qui s’étonne de l’absurdité de la guerre, avec une très jolie fin.
On aimerait savoir quelle est la part de l’histoire vécue par Gaël Faye de celle qu’il brode autour de ses personnages. Mais c’est sans doute un privilège d’auteur que de laisser son lecteur à ses interrogations. Un très beau livre.
Gaël Faye a reçu le prix Goncourt des Lycéens en 2016 pour Petit pays.
Fiche technique du livre
Auteur : Gaël Faye
Editeur : Grasset, 2016
Nb de pages : 215 pages
Genre : Roman
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