Les étoiles « naissent et meurent, chacune à son histoire, son flamboiement, sa trajectoire, à l’instar des humains. Mais les humains, eux, ont tant besoin de messagers, sans qui ils ne réussissent pas à recevoir des nouvelles de leur propre cœur, à démêler les fils enchevêtrés de leur destin ».
Je voulais vous parler du dernier livre de Sylvie Germain, Le vent reprend ses tours, mais c’est un roman sans relief et j’ai renoncé. J’ai préféré aller dénicher sur mes étagères celui que j’ai tant aimé de cet auteur : Tobie des marais.
« Un petit garçon en ciré jaune roule sur son tricycle sous l’orage. On dirait un soleil miniature. On lui a crié « Va au diable ! » et il y file, chassé par le vent du malheur ».
Sous le voile de la mort, comment tisser le sort des vivants ?
C’est une histoire folle, d’une violence et d’une poésie bouleversantes qui porte en elle l’effroi d’un amour à jamais blessé. Elle raconte l’épopée d’une famille qui s’étire de Déborah, une arrière-grand-mère refoulée par les services américains d’Ellis Island, de Théodore, père éploré qui perd la raison et d’Anna, mère aimée retrouvée littéralement sans tête, jusqu’à Tobie, cinq ans, qui va grandir dans l’ombre du désespoir, des murs d’une bibliothèque et des limites du marais poitevin où sa lignée s’est échouée.
« L’enfant sentait bien sûr l’assaut de violence dont son père était pris n’était pas dirigé contre lui, Tobie, mais contre quelque chose de bien plus ample qui n’avait pas de nom ni de forme, pas de visage, rien. Contre ce rien terrible et si tenace, cruel, ce rien sans fin instauré par la mort, Théodore tentait de lutter. Mais comment se battre avec le vide, avec l’absence, avec l’absolu du malheur ? Tobie s’offrait comme corps de substitution chaque fois que son père déclarait la guerre à ce rien outrancier, provoquait en duel ce deuil qui ne cessait de le défier en refusant de fléchir. Tobie s’offrait, non en victime, mais en adversaire, en ennemi compassionnel, chaque fois qu’il y avait urgence ».
Quelle force faut-il pour trahir le destin ?
Les années passent. Théodore, affaibli, envoie Tobie, devenu jeune homme, recouvrir à Bordeaux une dette qu’on lui doit. Pour ce voyage, il lui faut un compagnon. Ce sera Raphaël, une sorte d’ange tombé du ciel… Au cours du voyage, Tobie découvre le monde, l’amitié et aussi l’amour qui prend les traits de Sarra, jeune femme maudite. Un soir, suivant le conseil de Raphaël, Tobie déjoue le sortilège qui la tenait prisonnière et s’unit à elle : « Les dormeurs reposent front contre front, leurs profils sont en miroir, la clarté de l’un nimbe la face de l’autre, le sourire de l’un se reflète sur les lèvres de l’autre ».
A travers cette fable qui joue parfois de l’irréel ou du fantastique, c’est un chemin à petits pas vers une destinée de bonheur qui se dessine : « Tais-toi, ne cherche pas à comprendre trop vite, sinon tu ne connaîtras pas l’émerveillement et la surprise ».

J’aurais aimé vous proposer tellement d’autres passages de ce roman fort, impétueux, profond, où se dessinent des paysages oniriques, qui se moque du destin, mais ce serait déjà trop en révéler. Simplement, je suis sortie éblouie de ma lecture.
Alors que dire encore sinon que le texte est remarquablement écrit, mais les extraits parlent d’eux-mêmes, et qu’il est très librement inspiré d’un livre biblique dont il conserve la trame. Sylvie Germain offre dans ces pages un condensé de beauté, dans lesquelles, « sous un lit de fougères étendues sous le châtaigner, les âmes de ces lieux jouent avec le monde »…
Fiche technique du livre
Auteur : Sylvie Germain
Editeur : Poche, 2000
Nb de pages : 272 pages
Genre : Roman
Photo tête d’article ©fC
Alors encore un beau livre à lire !
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Oui ! Bonne lecture !
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