Ce livre est addictif !… Jusqu’au bout je suis restée prisonnière de ses pages. Je l’ai trouvé par hasard et j’ai eu l’impression de l’exhumer d’un grenier, de le sortir d’une malle au trésor. Il ne fait pas du tout partie de la sélection proposée pour la rentrée littéraire. D’autant moins que son auteur est décédé en 2005.
Avant d’être une expérience littéraire, ce livre est une expérience musicale
Le roman, qui s’étire sur vingt ans, commence à New York dans les années quarante. Il raconte l’histoire d’un gamin, Claude Rauwlings, enfermé avec la seule compagnie d’un piano de soixante six touches, dans un appartement sordide au sous-sol où il vit avec sa mère, absente la plupart du temps. Très vite, à l’insu de tous, il se révèle posséder un don extraordinaire pour l’instrument. Saisissant sa chance, l’enfant n’aura de cesse de se laisser guider et travaillera d’arrache-pied avec passion et constance, d’abord pour son propre plaisir.
Curieusement, avant d’être une expérience littéraire, ce livre est une expérience musicale, terriblement vivante et réelle. Les passages où l’auteur décrit comment Claude entre dans la musique, approfondit ses explorations sont autant d’illuminations auxquelles le lecteur est associé, comme ce moment où l’enfant découvre les harmoniques. Les moments musicaux sont de purs bonheurs.
« Mais soudain, tandis que les lignes s’écoulaient, Claude perçut le contrôle exquis avec lequel Fredericks libérait la musique dans l’air. C’était surnaturel. Le piano sembla disparaître, seules les lignes emplirent la conscience de l’enfant, l’architecture de la musique éclairée dans ses moindres détails, l’annonce entière scellée, flottant, se repliant sur elle-même. Puis le silence. Claude souffrit devant une telle beauté. (…) Fredericks tourna la tête, l’enfant plongea ses yeux dans les siens et demeura immobile, le souffle coupé, comme si son regard pouvait ramener la musique. (…) Il avait joué ces vingt mesures des centaines de fois, écouté Menti, Sturm, et même Weisfeld les jouer, et, pourtant, il savait qu’il venait de les entendre et de les comprendre pour la première fois ».
Autour de Claude, qui n’a que six ans au début de l’histoire, Frank Conroy dessine des personnages d’une belle épaisseur humaine : Emma sa mère qui erre entre douleur et folie, monsieur Weisfeld, le maître de musique énigmatique, Al, l’homme noir rencontré aux heures de misère… Chacun joue parfaitement sa partition, ne délivrant que tard ses secrets, et tous sont reliés les uns aux autres, Catherine et Lady… Et l’enfant timide, effacé devient un homme qui s’affirme. Et puis, il y a la musique…
Les ressorts de l’intrigue répondent à une mécanique de précision qui fonctionne parfaitement
« Il avait décidé d’être aussi bruyant que possible, de jouer suffisamment fort pour que les sons rebondissent par les portes fenêtres jusqu’au hangar à bateaux. Lorsqu’il eut terminé le Gershwin, il se lança sans interruption dans Carolina Shout, de James P.Jonhson, arrachant les strides de la main gauche à un tempo dangereusement rapide. L’énergie irradiait dans toutes les directions, le piano sembla devenir incandescent. D’autres personnes s’avancèrent (…). A présent, sous l’impulsion d’une joie de vivre insouciante, il saisissait tous les airs de strides qui lui passaient par la tête, maintenant le rythme, jouant parmi les fausses notes comme si elles n’existaient pas, simulant des ponts si nécessaires, les mains volant, le corps fonctionnant comme une machine chaude, bien huilée. (…) La salle était à présent bondée, quarante ou cinquante personnes, qui explosèrent en applaudissements, sifflets, hourras. « Encore, encore ! » criait-on ».
Beaucoup de sensibilité dans ces pages très maitrisées soutenues par une écriture sans fioritures mais terriblement efficace : les ressorts de l’intrigue répondent à une mécanique de précision qui fonctionne parfaitement. On se délecte.

Inspiration, création, talent, avec tout le travail que représente la formation d’un artiste, ce livre parle aussi de transmission, de paternité, d’amour et d’amitié, avec des surprises jusqu’aux dernières pages. Ecrivain incontournable, Frank Conroy a dirigé, pendant 18 ans, de 1987 à 2005, l’atelier d’écriture de l’université d’État de l’Iowa. Mais est-ce une justification ?
Fiche technique du livre
Auteur : Franck Conroy
Editeur : Gallimard, 1993
Nb de pages : 512 pages
Genre : Roman
Photo tête d’article : ©SeaReeds de Pixabay
ce livre m avait envoûtée. Je m ai prêté et du coup racheté des nombreuses fois. C est un bel hymne à la musique
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