Je ne sais pas ce qui m’a pris. Sans doute un désintérêt persévérant pour les conversations qui ronronnaient autour de moi. Sous l’ombre de l’arbre de Judée piqué de fleurs roses, le déjeuner s’étirait, j’étais alanguie dans la chaleur suffocante de juillet. Les cigales se frottaient les ailes et leur chant me berçait sans doute. Je m’étais calée sur leur rythme et je devais avoir branché mes pensées sur pilote automatique. Toujours est-il que je ne me suis pas rendue immédiatement compte de ce que je faisais. Quand j’en pris brusquement conscience, dans un fantasque retour à la réalité, j’en fus durablement et profondément étonnée, mais ne me lassait pas de la caresser. Elle s’était posée sur la carafe d’eau. Petite abeille à la taille invisible, dans ton costume strié de jaune et de noir, pourquoi ne t’es-tu pas envolée ? Pourquoi ne m’as-tu pas piquée ? Du bout de l’index, t’effleurant à peine, je passais le doigt sur tes ailes nervurées. Dans la moiteur ferme de ce début d’après midi, ces caresses improbables ont duré un peu. J’ai finalement craint qu’un des convives ne me surprenne et j’ai éloigné ma main. A regret.
Nous étions de la même espèce, toutes deux chargées de la douceur du miel et sensibles au mal, le dard en défense.
Bizarrement, dans cet instant volé entre la femme et l’abeille, ce simple geste s’improvisait comme un signe de reconnaissance, une complicité ignorée tout à coup révélée, une évidence : nous étions de la même espèce, toutes deux chargées de la douceur du miel et sensibles au mal, le dard en défense.
Quand plus tard, je me remémorais la scène, j’ai pensé que l’abeille s’était collée les pattes sur les restes poisseux et sucrés de doigts enfantins. Mais à bien y réfléchir, je me rappelle qu’au moment de rapporter l’eau à la cuisine, elle avait depuis longtemps déserté le verre de baccara. Alors finalement, de cette kamikaze expérience, j’ai fini par me bâtir une solide identité, quoique parfaitement secrète, de charmeuse d’abeilles…

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