Livre/Ce monde est tellement beau, Sébastien Lapaque

Si certains livres se lisent d’une traite, sans respiration, dans l’urgence, il en est d’autres qui se laissent savourer au fil des jours. C’est le cas de l’inclassable roman de Sébastien Lapaque, Ce monde est tellement beau

De l’immonde à la beauté du monde

« Ce monde n’est pas seulement beau dans les choses visibles. Il est beau dans celles qui sont invisibles. Après bien des rebuffades, de longues années de sotte indifférence et d’ignorance fort peu docte, j’ai appris à l’aimer au-delà de l’image. J’ai découvert sa beauté dans l’enfance, dans la vieillesse, dans la musique, dans l’humilité, dans le secret, dans la présence et dans l’attente. J’ai compris que ce monde était beau dans la douleur et dans le deuil, beau dans le passage du temps et dans les adieux sans espoir de retour. Tellement beau. »

Un dimanche matin, Lazare, quadragénaire, professeur de lycée, que Béatrice, sa compagne, a laissé seul le temps des vacances d’hiver, prend conscience de l’Immonde qui l’entoure, autour d’un « grand crème » et d’une « tartine beurrée » dans « la brasserie Le Bouquet d’Alesia » à Paris Dans le 14e arrondissement. L’Immonde est « ce hennissement diabolique dont on ne pouvait pas baisser le son », qui n’attache les hommes et les femmes de sa suite « par rien de grand. Il les tenait toujours par leur petit côté, le plus honteux, le plus lâche ». C’est la prise de conscience du monde sans visage qui l’entoure, technique, collectif, abstrait, et le début d’une quête rendue indispensable par la rupture sentimentale qu’il n’avait pas vue venir.

Les grandes amitiés

Ce monde est tellement beau est une ode à l’amitié. Des amitiés de longue date qui accompagnent le protagoniste : Walter, Saint-Roy, Bruno… comme aussi de nouveaux visages : celui de Denis, « souriant mais crispé, légèrement sur la réserve », de Lucie, « pas folle (…) mais légèrement toquée », croisés au hasard de la vie. Lucie, petite flamme libre, est ornithologue. Comme Lazare, elle pose un regard décalé, curieux, vrai sur ce qui l’entoure. Elle a « compris dans quel monde infernal nous vivions, compris que nous devions surfer sur le désastre ». Leur rencontre offre de très jolis moments au lecteur…

Lazare : « Ne me dit pas que tu te souviens des moineaux à la terrasse des cafés ? » Lucie : « Si. Lorsque j’avais dix ans, à Paris, je m’en souviens parfaitement des moineaux qui sautillaient entre les tables. Ils ont disparu. Mais comme ces petits oiseaux comptent pour presque rien, personne ne daigne s’en apercevoir ». Lazare : « Ou alors c’est une forme de refoulé. » Lucie : « Comme tu le dis, docteur. Quand tu en parles autour de toi, tu te rends compte que beaucoup de gens ont observé la disparition des moineaux de Paris… Mais ils l’ont vue sans la voir… Ou alors leur cerveau n’a pas voulu enregistrer ce que leurs yeux n’ont plus vu… Tu as raison de parler de refoulé. On est dans quelque chose d’inconscient. C’est une chose qu’on observe sans jamais se l’avouer. »

La route de la joie

Au détour des pages de ce livre à la fois érudit et magnifiquement écrit, vous récolterez des perles. En voici une : « J’aime les gares pour mille raisons et l’une d’entre elles en particulier : ce sont les lieux du monde où on s’embrasse le plus ». Il y en a tant d’autres à glaner comme cette réflexion de fond qui court au fil de la lecture, sur l’envie qui pourrit nos relations humaines. L’auteur offre l’occasion d’une jolie balade philosophique auprès d’une source fraiche qui ne laisse pas indifférent.

Roman, fiction ou réalité ? Il y a de quoi se poser la question. C’est sans doute ce qui fait aussi le charme indubitable de ce roman.

Fiche technique du livre
Auteur : Sébastien Lapaque
Editeur : Actes Sud, janvier 2021
Nb de pages : 330 pages
Genre : Roman

5 commentaires sur “Livre/Ce monde est tellement beau, Sébastien Lapaque

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  1. Tu ouvres une brèche dans ce livre qui paraît très attrayant, mais compliqué.
    Je crois qu il faut le lire pour mieux comprendre. A suivre …

    J’aime

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