Expo/James Tissot, inclassable dandy

Si vous ne l’avez pas vue et que le rythme infernal de la rentrée vous le permet, courrez voir l’exposition James Tissot, l’ambigu moderne au Musée d’Orsay. Elle est tout simplement fabuleuse et se termine le 13 septembre ! Soutenue par une scénographie tout en voiles, la visite découvre un Tissot lumineux, espiègle qui nous entraine dans la modernité de son époque.

L’homme ne manque pas de caractère. Il n’a que onze ans quand Jacques Joseph Tissot, né à Nantes dans une famille de commerçants prospères, son père est marchand de soie, sa mère modiste, décide de se faire appeler James…

Autoportrait, James Tissot, 1865

Les commandes se succèdent

A son arrivée à Paris où il rejoint les Beaux-arts, il a alors vingt ans, ses premières œuvres, le fils prodigue, inspirées des primitifs flamands et germaniques, proche du mouvement britannique des pré-raphaéliques, sont déjà originales et témoignent de la modernité qu’il cherche à manifester. 

Formé à l’école d’Ingres et de Flandrin, il propose dès l’année suivante au Salon de 1864, le Portrait de Melle L.L., une œuvre novatrice et impertinente pour son époque. Dans ce faux portrait, l’artiste, qui a besoin de commandes, révèle l’intimité d’une jeune femme, probablement un modèle, à travers la précision de nombreux détails : la pose inhabituelle, le chausson qui dépasse de la jupe, la porte entrouverte comme une invitation… Il s’attache, ici comme ailleurs, à représenter la beauté particulière des physionomies, des costumes et des objets de son temps. Remarqué, il devient très vite le « chouchou de la société mondaine parisienne » qui fera sa fortune.  

Portrait de Mademoiselle L.L., James Tissot, 1864

Contrairement à nombre de ses contemporains, Tissot ne prendra pas le chemin de l’impressionniste et reste à jamais inclassable et extrêmement personnel. Dès les années 1860, il s’enthousiasme pour « l’esthétique nippone » et collectionnera des objets, kimonos, estampes qu’il sème dans ses toiles et jusque dans la production de pièces en émail cloisonné, inspirées de l’art du Japon et de la Chine. Sa Japonaise au bain, une européenne bien en chair, est l’un des rares nus de Tissot. Elle reflète l’image stéréotypée d’un Japon fantasmé où Tissot ne se rendra jamais. Cet engouement est manifeste dans d’autres toiles comme ces deux jeunes femmes admirant, chez le peintre lui-même, le cabinet de curiosité de son appartement rue de l’impératrice, l’actuelle avenue Foch. Ses toiles se vendent aussi bien en France qu’à l’étranger et particulièrement en Angleterre. 

L’exil à Londres

Avec la guerre, Tissot s’engage dans la défense de Paris. Il ne cesse de dessiner. Si on ignore quelle a été sa participation ou son rôle dans la Commune de Paris, force est de constater qu’il fuit la capitale pour l’Angleterre dès la fin de la Semaine sanglante. Pour fuir les représailles ? A Londres, il retrouve dès l’été 1871, auprès des élites, une place de choix et dans la rigueur toute victorienne de l’époque, sème dans ses toiles chatoyantes, des thèmes plus inhabituels comme ces trios qui glissent sur des bateaux le long d’une tamise sale. Le peintre rompt avec la tradition anglaise qui veut qu’un tableau raconte une histoire, une morale. La question qui s’impose en regardant ses œuvres est : que veut-il montrer ? Tissot représente des scènes amorales : La galerie du HMS Calcutta dans lequel deux femmes en robe de mousseline transparente sont présentées accompagnées d’un homme marié, ou drôles comme le Too Early : de jeunes femmes apparaissent dans une salle de bal désespérément vide, accompagnée de leur père. Mais, rompant avec l’habitude anglaise, Tissot se contente de saisir la scène et de laisser au visiteur le soin de choisir ce qu’il veut en penser. 

« Le glamour est tout : la multitude applaudit non ce qu’elle voit mais ce qu’elle croit voir », James Tissot.

Octobre, portait de Kathleen Newton, James Tissot, 1877

C’est à Londres qu’en 1876, à 41 ans, James Tissot rencontre sa muse, Kathleen Newton, de vingt ans sa cadette. Divorcée d’un premier mariage arrangé, elle l’obligera à s’éloigner des élites et la peinture de l’artiste, se concentrant sur elle, plonge dans l’intime. On sait peu de chose de leur relation, sinon que la jeune femme, atteinte de la tuberculose, « se « consume » sous les yeux de son amant-artiste qui continue de la prendre pour modèle jusqu’à sa mort le 9 novembre 1882 ». Après onze années, Tissot, très douloureusement éprouvé par sa disparition, quitte l’Angleterre quelques jours plus tard pour ne plus y revenir. 

La mystique

Il cherche alors à reconquérir un public parisien à travers 15 grands tableaux de La femme à Paris, dont sept sont exposés. Des tableaux boudés par la critique qui les juge trop anglais.

L’apparition médiumnique, 1885

En 1885, le peintre, lors d’une expérience de spiritisme dont il fait un tableau à part, « voit » et « embrasse » Kathleen. Cette toile, où les mains des deux personnages semblent porter un feu, qu’on croyait disparue, est celle que le peintre a gardé en sa possession le plus longtemps. Cette expérience ésotérique mènera Tissot sur la voie de la mystique. Il peint une série de 365 aquarelles représentant la vie de Jésus, comme un roman en images. Sa passion du détail et du réel, il fera trois voyages en Palestine, le pousse à réaliser un ensemble extrêmement nouveau qui suscitera engouement, émotions fortes, et même émeutes – on se bat pour voir ses œuvres -, à une époque d’une très grande religiosité. L’une de ses aquarelles représente la scène de la crucifixion telle que Jésus la voyait de la croix : ses pieds, Marie-Madeleine… L’exposition montre des extraits de film directement inspirés des aquarelles de Tissot.

Ce que notre Seigneur a vu de La Croix, série la vie du Seigneur Jésus Christ, James Tissot, 1886-1894

Évidemment, je ne vous ai pas tout dit. Mais il faut qu’il vous en reste à découvrir… Ce qui frappe chez Tissot, c’est son souci du détail, la précision du trait. Tapisserie, vêtements, jeux de tissus, nature… Je pense aux mains gantées, dégantées, en train d’être gantées qu’il sème tout au long du parcours.

Portrait d’Aimé Seillière, James Tissot, 1866 – Détail

Ce qui frappe, c’est la luminosité de ses tableaux, la magnifique richesse et chatoyance des couleurs. Comme ces orangés qui se transforment en ors. L’incarnation et le réalisme des sujets qui se tournent vers celui qui regarde la toile comme pour le prendre à parti, en faire plus qu’un simple spectateur ; l’artiste « tente d’abolir l’autonomie du tableau ». Je pense à ce Christ qui regarde à travers un treillis de tournesols, à la place de la Concorde qu’on devine en contrebas du balcon sur Le Cercle de la rue Royale, à cette femme qui déchirent les morceaux de La réponse ; les bouts de papier volent autour d’elle. Dans ces peintures pleines de charmes, d’un grand naturel, qui séduisent, se révèle aussi l’influence de la toute jeune photographie. La gaité semble partout, jusque dans les sujets plus mélancoliques auxquels elle donne une présence toute particulière. Tout est beau et on ne sait plus où poser les yeux. James Tissot est un peintre touche à tout, mondain, religieux… qui se renouvelle sans cesse. Soucieux des expressions, Tissot dépeint la comédie humaine de son temps.

L’exposition avait commencé avec Le fils prodigue, c’est aussi avec lui qu’elle s’achève. Le peintre, à la fin de sa vie, reprend le thème en lui donnant une interprétation résolument actuelle. Et personnelle. Et c’est lui-même qui se met en scène, lui qui dilapide son argent au Japon auprès des Geishas, lui qui revient, les mains crispées, accueillant le pardon de son père, lui qui arrive, en habit de régatier, au festin.

J’ai vraiment aimé ce peintre resté lui-même, tombé dans l’oubli après sa mort, effacé par le succès des impressionnistes dont il est contemporain. Cette exposition lui rend un très bel hommage.

Photo tête d’article : L’attente, James Tissot, 1874.

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