Livre/Le sagouin, François Mauriac

Cette semaine, je vous propose un livre coup de poing d’une rare beauté et profondeur. Je suis tombée dessus par hasard, j’ai été bouleversée. C’est un roman, presque une nouvelle tant il est bref. Il ne vous retiendra même pas le temps d’un voyage en train, mais il restera longtemps présent à vos côtés, Guillaume vous hantera. Silencieusement.

« Encore était-ce le meilleur de la journée, ces matins où dans la chaleur du lit désert elle s’engourdissait. Le petit Guillaume oubliait volontiers de venir l’embrasser. Souvent Paule entendait derrière la porte la vieille baronne qui pressait à mi-voix l’enfant d’aller auprès de sa mère. Autant qu’elle détestât sa belle-fille, elle ne transigeait pas sur les principes. Guillaume alors se glissait dans la chambre et, depuis le seuil, observait dans les oreillers cette tête redoutable, ces cheveux tirés sur les tempes et qui découvraient un front étroit, mal délimité, cette joue jaune (et le point de beauté parmi un duvet noir) sur laquelle il appuyait vite ses lèvres ; et il savait d’avance que sa mère essuierait la place de ce rapide baiser et qu’elle dirait avec dégoût : ‘Tu me mouilles toujours’. »

Guillaume, dit Guillou, est un gamin laid, sale et morveux, fils du non amour de sa mère, Paule « née Meuilère », une bourgeoise en mal de noblesse et d’un père attardé, dernier baron du sud-ouest de la France. L’enfant du château, au mieux ignoré, peu soigné, est maintenu dans l’imbécilité de son père par cette mère amère, que la haine aveugle. Mais l’enfant sait lire, ce que tout le monde ignore peu ou prou… Paule cependant, pour d’obscures raisons, décide de demander à l’instituteur de « faire l’école » à l’enfant.

Ce livre fonctionne à la manière d’un tableau de Rembrandt. L’obscurité y est si dense que la lumière, très blanche, quand elle apparaît est un éblouissement. Et les ambiances du château, de la maison de l’instituteur nous plongent dans des mondes radicalement différents qui se côtoient sans finalement pouvoir se rencontrer.

« L’instituteur recula un peu sa chaise. Il aurait pu, il aurait dû s’émerveiller d’entendre cette voix fervente de l’enfant qui passait pour idiot. Il aurait pu, il aurait dû se réjouir de la tâche qui lui était assignée, du pouvoir qu’il détenait pour sauver ce petit être frémissant. Mais il n’entendait l’enfant qu’à travers son propre tumulte. Il était un homme dans sa quarantième année, plein de désirs et d’idées, et il ne sortirait jamais de cette école au bord d’une route déserte ».

Évidemment, l’histoire se termine mal. Elle s’achève sur la détresse de l’enfant et les immenses qualités de cœur, la délicatesse d’âme de ce père qu’on avait cru débile. Magistral.

Bien sûr, faut-il le dire, j’ai aimé. Et vous ? Vous laisserez-vous saisir par cette peinture tout en nuances d’un autre siècle ?

Fiche technique du livre
Auteur : François Mauriac
Editeur : Pocket – Première publication, 1951
Nb de pages : 140 pages
Genre : Roman

Image tête d’article : ikon de Pixabay

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2 commentaires sur “Livre/Le sagouin, François Mauriac

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  1. Merci! Cela me donne envie de relire ce livre. Tu écris qu’il est bref, qu’il ne nous retiendra même pas le temps d’un voyage en train.. Il le faut pourtant, car pour les parisiens, « le sagouin » de Mauriac en poche, se diriger jusqu’à un TGV pour Bordeaux et commencer la lecture.. A la gare, filer à MALAGAR, ancien domaine de F. Mauriac, à une cinquantaine de km. Un paysage superbe, des vignes idéalement exposées, une dégustation des vins du château vous attendent. Là, il écrivit nombre de ses livres dont Thérèse Desqueyroux..

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