« Comme c’est triste ! Je vais devenir vieux, horrible, effrayant. Mais ce tableau restera éternellement jeune. Il n’aura jamais un jour de plus qu’en cette journée de juin… Si seulement ce pouvait être le contraire ! Si c’était moi qui restais toujours jeune, et que le portrait, lui, vieillît ! Pour obtenir cela, pour l’obtenir, je donnerais tout ce que j’ai ! Oui, il n’y a rien au monde que je refuserais de donner ! Je donnerais mon âme pour l’obtenir ! »
Je vous propose une petite incursion dans la littérature classique pour redécouvrir le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde.
Le roman s’ouvre sur une chaude journée d’été en Angleterre. Basil Hallward est peintre, il échange avec Lord Henry, une vielle connaissance, a propos d’un portrait qu’il est en train d’achever et qu’il considère comme sa plus belle œuvre au point de ne pas vouloir la montrer ou l’exposer car il estime y avoir mis trop de lui-même. A l’origine de ce tableau, Dorian Gray. Un jeune homme d’une « nature simple et belle » rencontré dans un salon. « Très sincère », il est doté d’une « merveilleuse personnalité ». Ce même jour, le jeune homme vient poser et rencontre pour la première fois Lord Henry. Lord Henry est un cynique accompli qui se targue d’éveiller ce jeune homme, naïf et pur, à ce qu’il est, à la fugacité de la beauté et de la jeunesse. A l’issue de leur premier entretien, dans ce jardin encore lumineux, le jeune homme déjà change de regard, et alors que le peintre lui dévoile ses traits sur la toile, « le sentiment de sa propre beauté l’envahit comme une révélation. Il ne l’avait jamais encore éprouvé ». En même temps, il jalouse ce tableau qui doit restera immuablement le même, conservant les traits d’une jeunesse qui doit lui échapper.
Basil Hallward offre le portait à son modèle. Et Lord Henry, qui, ne saura jamais à quelle extrémité son enseignement aura conduit Dorian Gray, se chargera d’éduquer le jeune homme. Pour son plus grand malheur. Le lecteur assiste impuissant à la métamorphose de celui qui renonce à la bonté, à l’amour pour suivre un instinct de jouissance, de plaisir égocentré. Le renoncement au bien, à l’éthique n’est pas sans conséquence…
« Au moment où il tournait la poignée de la porte, son regard tomba sur son portrait peint par Basil Hallward. Il sursauta et recula, comme saisit d’étonnement. Puis il passa dans sa chambre, l’air quelque peu perplexe. Après qu’il eut ôté la fleur qui décorait la boutonnière de sa jaquette, il parut hésiter. Finalement, il rebroussa chemin, s’approcha du tableau, et l’examina. Eclairé par le peu de lumière que laissait filtrer les stores de soir crème, le visage lui parut légèrement changé. L’expression avait l’air différente. On aurait dit que la bouche présentait une touche de cruauté. C’était assurément étrange.
Il se retourna et, allant jusqu’à la fenêtre, il releva le store. L’éclat de l’aube inondé la pièce et chassa les recoins obscurs les ombres fantastiques, qui s’y immobilisèrent, frissonnantes. Mais l’expression étrange qu’il avait remarquée sur le visage du portrait semblait y persister, s’y intensifier même. La lumière du jour, ardente, palpitante, lui montrait les lis de cruauté autour de la bouche aussi clairement que s’il s’était regardé dans un miroir après avoir commis une action abominable.
Il tressaillit et, prenant sur la table une glace ovale encadrée de cupidons d’ivoire, un des multiples cadeaux de Lord Henry, il jeta un regard rapide sur ses profondeurs polies. Aucun pli semblable n’abîmait ses lèvres rouges. Qu’est-ce que cela signifiait ? »
Dans l’enfer d’une âme
On ne peut s’empêcher d’avoir la nausée au fur et à mesure que s’accroit la déchéance de cet homme attirant, dont le visage, l’apparence, restent inchangé, que le temps refuse obstinément de marquer, mais dont le cœur, les mœurs, les attitudes s’enfoncent de plus en plus dans l’abjecte, pervertissant autour de lui ceux qui l’approchent, semant la mort, tuant lui-même, sans d’autre sentiment qu’une colère absurde contre ce tableau, chargé de « porter sa honte », qu’il cache avec de plus en plus de soins au regard des autres. Peut-on échapper à sa conscience ? En effet, au fur et à mesure que le dandy s’enfonce dans une infernale perversion, l’image s’altère reflétant sans complaisance le véritable Dorian Gray. Et que répondre au peintre qui vient lui demander ce qu’il a fait de son portrait… Le livre s’achève dans une obscurité redoutable dont seule la mort libère.
Oscar Wilde
Dans ce premier et seul roman d’Oscar Wilde, « écrit en quelques jours », parce qu’un de ses amis, Conan Doyle, prétendait qu’il ne pourrait « jamais écrire un roman », l’auteur puise en lui-même. Il explique : « Basil Hallward est ce que je crois être ; Lord Henry, ce que le monde me croit être ; Dorian ce que j’aimerais être ». Le caractère fantastique du texte, forme souvent utilisée au XIXe siècle, en utilisant l’étrangeté d’un portrait « magique », trace les contours d’une réalité qui échappe à la rationalité et nous conduit tout droit dans l’enfer d’une âme.
Fiche technique du livre
Auteur : Oscar Wilde
Editeur : Gallimard, 1992 – Rédigé en 1890 puis complété en 1891
Nb de pages : 380 pages
Genre : Roman fantastique
Bonne idée de relire des classiques : ça donne envie de redécouvrir cette œuvre que j avais sans doute abordée par extrait dans le secondaire.
À t il été écrit en français ou en anglais ? je vais me renseigner.
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Il me semble qu’il a été écrit en anglais. Pour les classiques, j’en proposerai d’autres. Il y a tellement de chef d’œuvre de la littérature à redécouvrir !
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oui je confirme et j ai mené mon enquête entre temps : bien ecrit en anglais 👍je vais me le procurer
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