Cette exposition, vous ne la verrez plus. Elle a refermé ses portes avec la fin du mois de janvier. Mais avant qu’elle ne tombe dans l’oubli, parce que les 67 toiles présentées au Musée Marmottant – pour la moitié d’entre elles pour la première fois à Paris – sont d’une très grande qualité artistique et qu’elles témoignent du cheminement d’un peintre, je vous propose un dernier tour de piste.
L’amitié
J’avais été séduite par l’idée de découvrir Piet Mondrian avant sa période néoplasticienne, abstraite. Ensuite, en feuilletant les catalogues, tout me décevait : les couleurs, les formes… Je me suis tout de même entêtée et je n’ai pas regretté, j’ai été captivée par la résonnance de ces toiles, le projet artistique de l’auteur, l’amitié d’un homme, Salomon Slijper, fils d’un diamantaire, qui permettra au peintre de devenir Mondrian.

Les deux hommes se rencontrent à l’aube de la première guerre mondiale, alors que le peintre a quitté Paris où il s’est installé depuis 1912 pour se réfugier dans son pays natal, les Pays-Bas. Séduit par sa peinture, Salomon Slijper achètera, essentiellement entre 1916 et 1920, « ses œuvres en bloc » soit près de 180 tableaux, devenant le principal mécène de l’artiste. Il permettra à Mondrian de financer son retour à Paris, à partir de 1919, et de poursuivre ses recherches. Leur amitié s’étiole quand le mécène demande à son ami de laisser ses recherches sur l’abstraction pour lui « peindre une œuvre à l’ancienne ». Mondrian refuse : « Je n’ai absolument pas le temps de produire une œuvre dans l’esprit dont tu me parles, ce qui me désole. Mais cette œuvre me prendrait beaucoup de temps, et je n’en ai pas ».
Le sens d’une œuvre

Ce qui frappe tout d’abord, c’est l’extrême maitrise technique de l’artiste, héritée de la tradition hollandaise, particulièrement éclatante dans la nature morte du lièvre présentée en ouverture de l’exposition. L’homme a alors 19 ans et il sait peindre. Indéniablement.
« Il m’a fallu des années pour comprendre que l’attrait de ce tableau tenait à la volonté inflexible déployée par Mondrian pour atteindre le fondement même de l’existence », Salomon Slijper, 1959.

L’engagement artistique du peintre tient de la mystique, celle d’une quête de l’« essence en toutes choses ». « Au début du XXe siècle encore (…) la peinture de paysage hollandaise restait liée à l’idée d’une émanation du divin et de l’intemporel transcendant temporalité et singularité. Cette forme spécifique d’expression de l’universel, que Mondrian a recherchée toute sa vie et qui servit de prologue à son entreprise moderniste, était en fait une composante de type de la tradition paysagiste hollandaise »[1]. En 1909, il a rejoint la société théosophique dont l’objet est « d’atteindre la vérité inhérente à toute chose ». A cette époque, il réalise trois autoportraits au fusain qui « annoncent son œuvre symbolique ».
Par étape
Pour autant Mondrian n’est pas un peintre figuratif qui chemine vers l’abstraction. Les deux styles se mêlent et vont cohabiter longtemps, c’est sans doute aussi toute l’originalité de l’exposition.
Jusqu’en 1906, Mondrian cherche à rendre « l’expérience spirituelle de la nature » à travers des toiles considérées comme « paysages intérieurs ». Les années 1907-1908 marquent un tournant. L’artiste considérant que « les couleurs de la nature ne peuvent être imitées sur la toile » opte pour des teintes « pures, vives, fortement contrastées et posées en aplat ». Déjà il s’écarte de ce qu’il voit pour entrer dans une peinture résolument moderne, comme dans ce magnifique Moulin dans le crépuscule où les jaunes et les oranges jouent avec les bleus.

A partir de 1908 et jusqu’en 1911, il s’inspire des écoles européennes symbolistes, divisionnistes et fauves. Ce qui donnera ce spectaculaire Moulin dans la clarté du soleil, très grande toile présentée pour la dernière fois au public compte tenu de son mauvais état de conservation, de Dévotion, ou son Bois près d’Oele.

A compter de 1910, il entend parler du cubisme à travers des comptes-rendus d’exposition. Ces influences, celles de Braque et de Picasso, le conduisent à faire ses premiers pas dans l’abstraction. S’il abandonne pour un temps la couleur, il reste figuratif, « ses motifs restent identifiables », mais fait évoluer ses formes : elles « se fragmentent et se géométrisent ».

Entre 1913 et 1919, les deux formes abstraites et figuratives coexistent dans l’œuvre du peintre. « Ses toiles deviennent de plus en plus abstraites et s’organisent autour d’un réseau de verticales, horizontales et obliques ». Mondrian vise à « une simplification extrême des formes, peint des suites de lignes, réduits ses motifs à l’essentiel ». La magnifique déclinaison des moulins, thème récurrent tout au long de l’exposition et dans les différentes périodes, « sous le soleil », « à vent le soir » ou « le soir » en est un très bel exemple.

C’est à partir de 1919 que l’artiste produit ses premières toiles « purement abstraites », sans lien désormais avec le réel pour donner à voir « la beauté absolue », « l’essence de toutes choses ». La direction est prise, même si abstraction et figuration se répondent encore comme dans ce portrait où le peintre se représente ayant en toile de fond une de ses œuvres néoplasticiennes.

Magnifique exposition, témoin de la vivacité de la quête de cet artiste, dont il faut refermer le livre. A regret.

Sources : Connaissance des arts, HS n°874 et dossier de presse de l’exposition – Photo tête d’article : Ferme près de Duivendrecht, 1916 – Photo : ©fC.
[1] Hans Janssen et Joop M. Joosten, Mondrian de 1892 à 1914, les chemins de l’abstraction (2002), cité par Connaissance des arts, HS n°874.
pas vu …. dommage ! mais merci pour la revue de presse👍
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