Nouvelle/L’enfant et le vent

L’enfant et le vent – Nouvelle à écouter

C’est l’histoire d’une toute petite fille recroquevillée dans son lit de bois blanc à barreaux. Elle est toute repliée sur son oreiller bleu, ses yeux très noirs écarquillés, elle scrute la nuit. Elle a calé son dos contre la tête de lit et pousse fort parce qu’elle voudrait entrer dedans, se cacher loin de la menace. Elle a si peur qu’elle n’ose pas appeler maman qui dort dans la chambre, à côté. Elle suce son pouce plus vite mais ça ne la rassure pas assez. Dehors, entre le fleuve et la fenêtre de sa chambre, il y a un grand champ sauvage et dans ce champ, toutes les nuits, le vent entraine en farandoles toute une armée de songes qui terrorisent l’enfant.

Elle s’endort parfois vite, mais le vent qui siffle et hurle, la réveille affolée. Elle se tend, se tord et finalement ne bouge plus. Elle se met à écouter le vent, saisie d’épouvante et perdue, le vent fou qui fait la course, qui joue avec les feuilles, les chapeaux, les parapluies, qui arrache, sans s’en rendre compte, des lambeaux du monde comme un gamin turbulent. Il veut rire et ne comprend pas que trop, c’est trop et qu’il faut maintenant s’arrêter. Elle se demande si le vent est ivre, s’il est seul ou s’il a des complices qui décident avec lui du sort des vivants. Il est le maître du monde et il le fait savoir : « Sors un peu mignonette, que je t’entrouvre la nuit claire ». Mais l’enfant se replie plus entièrement en elle et plisse ses yeux serrés, ferme ses poings mignons.

Le vent est bien tentant pourtant. Il est vigoureux, insolent, et comme nul autre, il sait raconter des histoires puisées ailleurs, chassées jusque dans le cœur du monde, dans le chagrin des hommes et l’émerveillement des enfants.

La nuit est chaude ce soir. Maman a laissé ouverte la fenêtre. Dans le noir d’été, le vent tout à coup est tombé, comme fatigué, et l’air devient lourd comme une pierre. La petite fille écoute plus fort et n’ose pas bouger. Elle dessert ses mains fluettes, ses yeux égarés, sa bouche rosée. Elle déplie ses jambes et écoute encore le silence du vent apaisé. On dirait que le monstre est parti, qu’il a fini par renoncer. Elle est bien étonnée. Toute alarmée encore, pleine d’effroi, elle n’ose pas dormir et cherchant à se rassurer, elle s’attache au manteau de la nuit. Rien. Il ne se passe rien. Alors, elle se rassemble à quatre pattes, se soulève sur ses deux courtes jambes et se dresse, accroche ses doigts tendres aux barreaux du lit de bois blanc. Elle se tourne vers la fenêtre, un peu chancelante encore, penche sa tête. Au travers des volets baissés, elle distingue la lumière profonde que répand le manteau d’étoiles.

C’est à ce moment là qu’ils se sont rencontrés. L’enfant et le vent.

C’est à ce moment là qu’ils se sont rencontrés. L’enfant et le vent. Il s’est imposé dans l’air léger, une petite brise douce qui a effleuré son visage et fait danser un peu ses boucles naissantes, ramenant un peu de fraicheur dans l’immobilité oppressante de la nuit. Il a commencé à lui raconter le frémissement des peupliers, le courage des oiseaux, le murmure de la terre. Doucement d’abord, dans les berceuses douces, en faisant jacasser les fleurs, frémir les abeilles et grincer l’été. L’enfant ne s’est pas cachée. Comme éblouie, elle s’est laissée apprivoisée par les mots du vent, de plus en plus puissants, et qui, au bout du compte, fracassent les rochers et s’imposent aux sillons.

Au petit matin, alors que l’aurore se drapait à mesure des couleurs du jour, on l’a retrouvée endormie au milieu de son lit de bois blanc, les deux bras écartés, un sourire de poupée éclairait son visage paisible et abandonné.

Ce que lui a dit le vent, nul ne l’a jamais su vraiment. Mais quand il revient la nuit, quand elle l’entend hululer derrière la fenêtre, au fil du temps, des années qui passent, elle sourit à son ami et se laisse emporter par la voix dont elle sait et le rythme et la forme, un battement de cœur, comme un carré d’espérance. Et, où qu’elle soit dans le monde, elle se rendort apaisée, bercée par la chanson câline du zéphyr.

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