Le livre de cette semaine est une invitation au voyage. Elle vous entrainera des monts du Vivarais au Japon en vous apprenant à veiller sur la fragilité d’un ver à soie.
« Hervé Joncour partit pour le Japon aux premiers jours d’octobre. Il passa la frontière près de Metz, traversa le Wurtemberg et la Bavière, pénétra en Autriche, atteignit par le train Vienne puis Budapest et poursuivit jusqu’à Kiev. Il parcourut à cheval deux mille kilomètres de steppe russe, franchit les monts Oural, entra en Sibérie, voyagea pendant quarante jours avant d’atteindre le lac Baïkal, que les gens de l’endroit appelaient : le dernier. Il redescendit le cours du fleuve Amour, longeant la frontière chinoise jusqu’à l’Océan, et quand il fut à l’Océan, resta onze jours dans le port de Sabirk en attendant qu’un navire de contrebandiers hollandais l’amène à Capo Teraya, sur la côte ouest du Japon. Ce qu’il trouva… »
Au XIXe siècle, Hervé Joncour achète des vers à soie. A la faveur d’une épidémie, il se rend au Japon. Quatre voyages : la mer, le démon, le dernier et le saint. Tous les mêmes et chacun différent, qui hanteront le voyageur durant les longs mois du retour.
« La jeune fille continuait à le fixer, avec une violence qui arrachait à chacune de ses paroles l’obligation de sonner comme mémorable. La pièce semblait désormais avoir glissé dans l’immobilité sans retour quand, tout à coup, et de façon absolument silencieuse, la jeune fille glissa une main hors de son vêtement, et la fit avancer sur la natte, devant elle. Hervé Joncour vit arriver cette tache claire en marge de son champ de vision, il la vit effleurer la tasse de thé d’Hara Kei puis, absurdement, continuer sa progression pour aller s’emparer sans hésitation de l’autre tasse, celle dans laquelle il avait bu, la soulever avec légèreté et l’emporter. (…) La jeune fille souleva légèrement la tête. Pour la première fois, elle détacha son regard d’Hervé Joncour, et le posa sur la tasse. Lentement, elle la tourna jusqu’à avoir sous ses lèvres l’endroit exact où il avait bu. En fermant à demi les yeux, elle but une gorgée de thé ».
Ce roman recèle une émotion esthétique rare. Poétique, il entraine constamment le lecteur à se perdre dans les détails d’une estampe japonaise avec ses rites, ses dangers, des désirs, ponctués de refrain. Le livre est presque musical, « ses yeux n’avaient pas une forme orientale et son visage était celui d’une jeune fille »…
« Et avec application, il arrêta le temps, pendant le temps qu’il désirait »…
C’est aussi l’histoire d’amour d’une femme qui, restée en France, attend le retour de celui dont le cœur s’attache aux yeux d’une femme étrangère. Elle saura comprendre le cœur de son époux, le sauver de la mélancolie, d’un rêve amoureux qui le conduit au désespoir, dans un ailleurs où elle n’a pas de part. C’est paradoxalement ce personnage, Hélène à la voix « superbe », pourtant tellement discret tout au long du récit, qui semble le plus intense, le plus réel peut-être.

Le récit est très sensuel, par endroit érotique, écrit dans une langue très dépouillée, dessinée à l’encre des sentiments, intense.
« Et avec application, il arrêta le temps, pendant le temps qu’il désirait ». Puissiez-vous, vous aussi, suspendre le temps juste pour les quelques heures de votre lecture…
Fiche technique du livre
Auteur : Alessandro Baricco
Editeur : Folio, 1997
Nb de pages : 144 pages
Genre : Roman
Photo tête d’article : Logga Wiggler de Pixabay