Expo/Le talisman de Paul Sérusier, l’avènement de la couleur

A l’origine du mouvement des Nabis, deux hommes. Deux peintres. En cette fin d’été 1988, Paul Sérusier, qui s’apprête à retourner à Paris, rencontre Paul Gauguin à Pont-Aven où ce dernier séjournait depuis l’hiver. Il accepte de lui donner une « leçon de peinture ». Les deux hommes s’installent dans le Bois d’amour, une forêt toute proche du centre ville. « Comment voyez-vous ces arbres, avait demandé Gauguin au jeune peintre. Ils sont jaunes. Eh bien, mettez du jaune ; cette ombre, plutôt bleue, peignez-la avec de l’outremer pur ; ces feuilles rouges ? Mettez du vermillon ». Dans une lettre de cette époque, Paul Gauguin avait déjà écrit au peintre Emile Schuffenecker : « Un conseil, ne copiez pas trop d’après nature. L’art est une abstraction. Tirez-la de la nature en rêvant devant et pensez plus à la création qu’au résultat ». Une feuille de route…

« Comment voyez-vous ces arbres, avait demandé Gauguin au jeune peintre. Ils sont jaunes. Eh bien, mettez du jaune ; cette ombre, plutôt bleue, peignez-la avec de l’outremer pur ; ces feuilles rouges ? Mettez du vermillon ».

Le talisman – Paul Sérusier – Photo ©fC

Paul Sérusier, il n’a alors que 23 ans, peint vite sur un morceau de bois de peuplier d’une trentaine de centimètres. Il saisit rapidement l’importance de cette peinture qui révèle une toute nouvelle méthode de travail où la couleur prend toute sa valeur expressive, comme une miroir de l’effervescence de l’émotion, des états d’âme. En 1921, Paul Sérusier explique : « Composer, c’est juxtaposer des formes dans une surface donnée ou choisie. Ces formes sont nécessairement empruntées à nos sensations, ou mieux, aux images mentales qu’elles engendrent ».

Inachevé, le peintre conserve en l’état son tableau, pour garder en mémoire les idées de Gauguin et les transmettre. Maurice Denis raconte en 1942 : « C’est à la rentrée de 1888, en octobre, qu’il nous montra à l’atelier un panneau de bois représentant un paysage qu’il avait peint sous la direction de Gauguin : paysage du bois d’amour, informe à force d’être synthétiquement formulé ». Cette peinture puissante et radicale devient le « talisman » d’un groupe d’artistes : Maurice Denis, Edouard Vuillard, Ker-Xavier Roussel que Paul Sérusier a rencontré au lycée Condorcet à Paris. Mais il y a aussi Gabriel Ibels, Paul Ranson, Pierre Bonnard qui, comme le jeune peintre, suivaient les cours de l’académie Julian. Et d’autres aussi comme Emile Bernard, Georges Lacombe, ou des étrangers, le Belge Jan Verkade, le Danois Mogens Ballin.

Les trois bretonnes – Emile Bernard – photo ©fC

Avec l’avènement de la photographie, les impressionnistes s’étaient déjà affranchis du devoir de représenter ce qu’ils voyaient pour s’attacher à la sensation visuelle. Les Nabis, prophète en hébreu, qui veulent renouveler l’art de leur temps, s’éloignent à leur tour de l’impressionnisme. Prophètes de la nouvelle peinture, ils se veulent libres « de toutes les entraves que l’idée de copier apportait à [nos] instincts de peintre » : ils remplacent une approche mimétique par la recherche d’un « équivalent coloré », comme l’explique Maurice Denis. De fait, les couleurs priment sur la forme, ils se détachent de la perspective, semblent effacer la profondeur. C’est une nouvelle conception de la peinture qui ne s’occupe plus de la ressemblance, mais s’attache à l’esthétique. Epurée, autonome, elle interprète plus qu’elle ne décrit, s’approche de l’abstraction : refus du modelé, des couleurs pures posées en à-plats, des masses soulignées par un cerne plus sombre... Siegfried Bing, un allemand naturalisé français, à l’origine de la maison de l’art nouveau, les initie à l’art japonais. Ils en tireront de nouvelles lignes, de panneaux décoratifs, juxtaposant par exemple les couleurs sur les horizontales… Les Nabis peignent l’intime, Paris, la nature, sont, pour certains, spirituels…

Autour de cette première œuvre, l’exposition rassemble une soixantaine de toiles.

Marine bleue – Georges Lacombe – photo ©fC

Sur la marine bleue de Georges Lacombe, l’écume ressemble à une pièce de brocard ornée d’or et les vagues, roses, semblent évanescentes. Le champ de blé d’or et de sarrasin, de Paul Sérusier, est une débauche de couleurs flamboyantes, rehaussées, sur l’horizon, d’un trait de bleu… Certains petits tableaux pourraient sembler anodins, ils sont pourtant dotés d’un charme fou comme ce simple rebords de fenêtre… L’exposition se termine par Madeleine au bois d’Amour (1888), d’Emile Bernard, le seul tableau de grande dimension. Un fort sentiment de quiétude se dégage de ce tableau aux arbres sombres, dressés vers le ciel, laissant, au premier plan, allongée sur un tapis vert, la sœur du peinture, rêveuse, ses pensées courant au fil de l’eau qui s’étend en arrière de la toile.

Madeleine au bois d’amour – Emile Bernard – photo ©fC

Le mouvement dura à peine plus d’une dizaine d’années avant que, dès 1900, chacun s’engage sur des voies plus personnelles. Inaugurant un nouveau rapport de l’artiste à ce qu’il voit, les Nabis exerceront une influence déterminante sur le XXe siècle qu’ils préparent.

Pour voir ces magnifiques toiles, vous n’avez plus que quelques jours : après avoir joué les prolongations, l’exposition s’achève le 2 juin prochain. Si vous la ratez, vous aurez encore le recours du Musée du Luxembourg pour les découvrir sous un autre jour, celui des décors. Là, vous avez jusqu’au 30 juin…

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